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Portrait de l’artiste en marcheur

Cyril bron, l’homme qui fait de ses pas une œuvre d’art

Portrait écrit par Pascal Gavillet de la Tribune de Genève, sorti le 19 avril 2022

Ce Genevois d’adoption se définit comme un artiste-marcheur et organise mardi et mercredi à Villeurbanne un projet autour du périphérique. Rencontre.

Je marche donc je suis.

C’est une phrase qu’aurait pu dire Cyril Bron et qui pourrait en tout cas correspondre à l’une des nombreuses passions de ce Genevois né à Neuchâtel en 1978. À compter d’aujourd’hui, il se trouve à Lyon, et plus précisément à Villeurbanne, où il organise deux sessions de marche dans ce territoire en marge de la ville. Leur intitulé ? “Marcher le périph'”. Chaque marche – une mardi, l’autre mercredi – dure deux heures et seule une dizaine de personnes peut y participer. Ce ne sera pas une boucle et chaque marche diffère l’une de l’autre. Cyril Bron est un artiste marcheur et ce projet se fait sur l’initiative de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne.

Architectures urbaines

Marcher, c’est mon outil de travail. Mon corps, mes déplacements, mon regard forment ainsi une proposition artistique. Le but, c’est de les partager avec un public et de proposer un déplacement précis dans un certain territoire. Cela n’a rien à voir avec la marche sportive. Mes territoires sont en général urbaines. J’aime bien savoir ou plutôt découvrir comment se disposent les architectures urbaines. Deux choses se mêlent dans ce que je fais: l’anthropologique et l’artistique. Et la notion de partage est importante. Je demande au public qui participe de ne pas trop parler et de sortir de son quotidien. Il peut en revanche prendre des photos ou des sons.

Cyril Bron

Cyril Bron adorerait proposer semblable projet à Genève.

Ici, personne ne le fait. Il me faudrait un ou des partenaires pour le proposer. Je l’ai fait à Lausanne, dans le cadre du Festival de la cité, je l’ai fait à Bruxelles. J’ai contacté les centres d’art. C’est de toute manière désintéressé, puisque les inscriptions sont gratuites et que cela reste mon activité la moins lucrative. Et je précise, au cas où, que ce n’est pas destiné aux sportifs

Cyril Bron

À ce jour, Cyril Bron a pu mener une dizaine de projets analogues.

Je le fais avec ce sérieux-là depuis 2013. Mais je remarque que les autres artistes marcheurs sont rares.

Cyril Bron

Il nous cite ainsi le nom de Hamish Fulton. Un détour sur sa page Wikipédia nous apprend en effet, cet artiste marcheur inscrit son oeuvre dans la lignée de l’art conceptuel et performatif. Et que depuis les années 70, cet Anglais parcourt le monde à pied. Ses marches collectives comportent un protocole qui n’est révélé que le jour où elles ont lieu.

Je me sens assez proche de ce qu’il fait, complète Cyril Bron. Il ne cherche pas non plus à laisser des traces de son travail. Juste quelques photos. C’est pareil avec moi: pour avoir accès à mon travail, il faut marcher avec moi. De toute façon, c’est une pratique très marginale, dans tous les sens du terme. Dans tout ce que je fais, la marginalité est mon obsession. À Villeurbanne, il y a l’idée d’explorer la marginalité du territoire. J’adore aller dans les endroits où l’on ne va pas. Ce qui m’intéresse, c’est aussi ce qui est moche. Par exemple, pour reparler de Genève, il y a, après Vernier, des terrains avec des citernes dégueulasses. C’est ce genre d’endroit susceptible de m’attirer.

Genève-Neuchâtel à pied

En dehors de la marche, ses activités sont variés. Il est réalisateur indépendant (on avait en 2016 de son long métrage “Milky Way”) et est en train décrire un film avec le monteur Damian Plandolit. Il développe également des sites internet, souvent pour des associations ou des artistes. Et enseigne la vidéo à la Haute École de travail social (ou HETS). En dehors de cela, la marche occupe l’essentiel de ses loisirs.

Je ne prends plus l’avion, je ne m’y sens pas à l’aise. L’an passé, j’ai longé l’Arve jusqu’à la vallée de l’Arve. Il y a parfois des falaises, et même des culs-de-sac. Il y aussi comme j’ai pu le voir lors d’autres marches où on ne peut littéralement pas passer, comme certaines bordures d’autoroutes. Cela oblige à faire des détours imprévus qui peuvent s’ajouter au kilométrage de base. Ma limite, c’est 20 kilomètres par jour. Trente parfois. Au-delà, cela devient difficile. À la fin du premier confinement, en 2020, je suis allé à pied à Neuchâtel. Je marchais de huit à dix-sept heures environ puis après, cherchais des particuliers qui puissent m’héberger dans leurs jardins. Les personnes âgées et les jeunes disent en général oui. Ceux de l’entre-deux, genre couples trentenaires avec enfants, presque jamais. Ils se méfient. J’ai fini par ne plus leur demander.

Cyril Bron

Sa plus grande frayeur ? Pas la pluie, même si cela peut être pénible.

Ce qui m’effraye le plus, ce sont les ampoules. Sinon je fais tout à pied. Lorsque je dois aller quelque part dans le canton, j’y vais à pied, du moins si c’est possible. Quand j’habitais la Belgique, j’ai fait Bruxelles – Liège à pied. Et aussi Knokke-le-Zoute – Calais en longeant la côte. J’ai toujours adoré marcher, même tout petit. Derrière chaque marche, il y a un algorithme et des règles que je me fixe. J’accepte des petits bouts en voiture. Il est fréquent qu’on me le propose. En revanche, je m’interdis de faire du stop et je peux parfois accepter de dormir chez l’habitant.